Relocalisation alimentaire, utopie ou réalité ? Tag : agriculture Date : 04/03/2025 Type : Actualités Face aux enjeux environnementaux et économiques, la relocalisation de l’alimentation et le développement des circuits courts s’imposent aujourd’hui comme des leviers essentiels pour les territoires et les consommateurs. Mais au-delà des intentions, quels sont les impacts réels de cette transition ? Julien Frayssignes, enseignant-chercheur au Département sciences humaines, économiques et sociales à l’École d’ingénieurs de Purpan de Toulouse, analyse la complexité des labels, les défis de cette mutation agricole et le rôle central des acteurs publics dans l’accompagnement de cette transformation. La multiplication des labels, source de confusion Si les produits locaux bénéficient d’une image positive et d’une demande croissante depuis plus de 20 ans, leur définition reste floue. “La prolifération des labels complexifie la lecture du marché pour les consommateurs : SIQO (signes d’identification de la qualité et de l’origine), marques régionales comme Sud de France, certifications privées telles que Bleu-Blanc-Cœur, ou encore marques de distributeurs… C’est une véritable ‘jungle de labels’” observe Julien Frayssignes. Les SIQO, tels que le Label Rouge, l’AOP (appellation d’origine protégée), l’AOC (appellation d’origine contrôlée), l’IGP (indication géographique protégée), ou encore l’AB (agriculture biologique), garantissent un niveau d’exigence élevé. Encadrés par des cahiers des charges stricts validés par l’État ou l’Union européenne, ils certifient le savoir-faire des producteurs et assurent aux consommateurs des produits de qualité, régulièrement contrôlés. En revanche, l’appellation ‘produit local’ ne repose sur aucun cadre règlementaire précis, ce qui alimente la confusion. Certains y voient un critère lié au nombre d’intermédiaires, en référence au circuit-court, qui selon le Ministère français de l’Agriculture, désigne “un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire”*. Tandis que d’autres l’associent à une approche géographique, basée sur la distance parcourue entre le producteur et le consommateur. Face à cette diversité, il devient difficile de s’y retrouver. Pourtant, l’attachement aux produits locaux demeure fort, porté par des valeurs telles que le respect de l’environnement, la garantie de qualité et l’ancrage territorial. Circuits courts, une alternative crédible ? Le réancrage territorial de l’agriculture repose sur un double rapprochement : géographique, en réduisant la distance entre producteurs et consommateurs, et social, en recréant du lien entre ces deux mondes qui se sont éloignés au fil du temps. En limitant les intermédiaires, les circuits de proximité renforcent cette dynamique et prennent diverses formes : vente à la ferme, marchés, plateformes en ligne, magasins de producteurs, AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Mais ces modèles peuvent-ils réellement remplacer les filières longues ? “Il ne faut pas surestimer leur développement. Aujourd’hui, 70 % des achats alimentaires s’effectuent encore via la grande distribution, et moins de 25 % des agriculteurs écoulent une partie de leur production en circuits courts. L’agriculture française, historiquement structurée autour des filières longues et de l’industrie agroalimentaire, ne pourra pas opérer une mutation radicale du jour au lendemain” nuance Julien Frayssignes. Cependant, l’essor de ces modèles s’accompagne d’une évolution plus large du marché. Certains industriels réorientent leur stratégie. “On observe une renationalisation de leurs achats”, explique le chercheur, citant des entreprises comme Bonduelle, Blédina ou Panzani, qui privilégient désormais les matières premières françaises pour sécuriser leur chaîne d’approvisionnement et répondre aux attentes des consommateurs. Ce phénomène met en lumière la nécessité de valoriser les productions locales sans pour autant opposer circuits courts et filières longues. Les coopératives agricoles, historiquement tournées vers les filières longues et partenaires des industriels, jouent un rôle clé dans cette transition en diversifiant leurs activités. Elles développent des magasins de producteurs, des points de vente directe et des plateformes de distribution locales, favorisant ainsi une offre plus accessible. Cette évolution répond à une demande croissante de proximité et de transparence, notamment chez les jeunes agriculteurs. Près de 45 % des installations récentes intègrent aujourd’hui une activité en circuit court, signe d’une volonté forte des nouvelles générations d’adopter un modèle plus durable et équitable. Des bénéfices environnementaux et économiques contrastés Les circuits courts sont souvent présentés comme une solution vertueuse, tant pour la transition écologique que pour la réduction de l’empreinte carbone. En réduisant les intermédiaires et en favorisant la production locale, ils sont censés diminuer les émissions de CO₂ et encourager des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. La réalité peut être plus nuancée. “C’est une tendance, mais pas une garantie absolue. Tout dépend de l’organisation logistique”, précise Julien Frayssignes. Sur le plan environnemental, des études de l’ADEME montrent que la logistique des ‘derniers kilomètres’ est un facteur déterminant. Si chaque producteur livre individuellement ses clients, l’impact carbone peut être plus élevé qu’un transport mutualisé sur longue distance. Sur le plan économique, ces circuits sont créateurs d’emplois, renforcent la souveraineté alimentaire des territoires et stimulent le lien social. En recréant des échanges directs et en favorisant une meilleure rémunération des agriculteurs, ils dynamisent les économies locales. Néanmoins, leur accessibilité demeure une question essentielle. “Il faut trouver un équilibre entre la rentabilité des exploitations agricoles et le pouvoir d’achat des consommateurs”, analyse le chercheur. La démocratisation de ces modèles nécessite une réflexion plus large sur la ‘démocratie alimentaire’ c’est-à-dire la capacité de tous à accéder à une alimentation locale et de qualité, quels que soient leurs revenus. Le rôle clé des collectivités L’essor des circuits courts repose en grande partie sur l’engagement des collectivités territoriales. “Aujourd’hui, toutes les intercommunalités, départements et régions mettent en place des stratégies alimentaires locales”, souligne Julien Frayssignes. Cet accompagnement passe par divers leviers : aides à l’installation, portage foncier, ou encore soutien à la restauration collective. La loi EGALIM, impose d’ailleurs aux cantines publiques de proposer 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % issus de l’agriculture biologique. Les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT), illustrent cette dynamique. Avec près de 450 initiatives déjà déployées en France, ces dispositifs facilitent la structuration des filières locales en mettant en relation producteurs, distributeurs et collectivités. En rassemblant agriculteurs, transformateurs, distributeurs et consommateurs ces démarches permettent d’élaborer des stratégies collectives essentielles pour garantir la pérennité et la cohérence d’une offre alimentaire locale et durable. L’Occitanie, région pilote de la relocalisation alimentaire Première région bio de France, en termes de surface cultivée, de nombre d’agriculteurs et de labels de qualité, l’Occitanie s’impose comme un acteur clé de la relocalisation alimentaire. Avec 165 000 emplois dans le secteur agricole et agroalimentaire, elle devance même l’industrie aéronautique pourtant emblématique de son économie ! Son agriculture diversifiée est un atout en matière de résilience face aux changement climatique et aux aléas économiques. Cependant, la précarité des revenus y reste élevée, en raison de conditions pédoclimatiques parfois difficiles, impactant les rendements et la rentabilité des exploitations. Cette réalité explique en partie l’implication forte de la région dans le soutien aux circuits locaux. “L’enjeu est à la fois économique, social et environnemental”, conclut Julien Frayssignes. Un défi de taille que les acteurs du territoire devront relever ensemble pour ancrer cette transformation dans la durée, et assurer la viabilité d’une alimentation locale accessible et équitable. *Plan d’action pour développer les circuits courts, juin 2009 Retourner aux actualités Contact presse Contact presse Charline Kohler +33(0)5 32 11 07 32 charlinek@oxygen-rp.com Nos sélections d'imagesCassoulet La Belle ChaurienneDécouvrez Arterris au travers de nos 90 photos disponibles dans la médiathèque.Voir toutes les images Nos publications Charte Ethique et Conformité – 2024 ESRS Rapport Intégré 2023-2024
Quelle place pour les coopératives dans la souveraineté alimentaire et le développement durable des territoires ? Tag : circuit-court, production locale